Lien vers le troisième épisode
22 juin
Bien que biscornu, le calendrier de ce premier tour avantage les Français. Soixante-douze heures après une entrée en matière tranquille face au Nigeria, les voilà opposés, avec deux points en poche, aux Espagnols, principaux concurrents pour la qualification et qui effectuent là leur entrée en compétition. La dernière victoire française face aux Ibères remonte au 17 décembre 1959 à Paris, par quatre buts à trois (dont celui de Roger Marche), preuve que la passion et le caractère espagnols donnent des boutons des Coqs, ce qui est très gênant même sous les plumes. « Bien sûr, lEspagne peut apparaître supérieure », admet le capitaine Dominique Cyr, « car ses joueurs sont talentueux et ses clubs gagnent régulièrement des compétitions européennes. Je réponds à cela que nous avons nos arguments à faire valoir et que personne ne nous voyait éliminer à la fois la Tchécoslovaquie et lAllemagne de lEst. Nous sommes là et allons jouer notre chance avec la dernière énergie. »
Ce discours rassurant, repris par Albert-Michel Henry (« ces dernières années, le football français a appris à repousser ses limites »), se veut une réponse aux réserves de lopinion publique sur la performance bleue contre le Nigeria. On sinterroge sur la complémentarité du milieu de terrain à trois branches Pellequin-Ostermoz-Stora (un Nantais, un Stéphanois, un Messin), sur la solidité du système avec libéro décroché, Cyr pratiquant ce système à Nantes alors que son stoppeur, Dauberty, pratique la ligne à Saint-Étienne. Enfin, la question du gardien de but na pas été réglée. Lex-Strasbourgeois et néo-Lensois, Francis Dillinger, choisi pour « son aisance sur les balles hautes », na pas rassuré sur les quelques interventions quil a eu à faire. Le problème est récurrent depuis quelques années et personne ne simpose dans les cages françaises : « pas étonnant, répond lopinion, ce ne sont que des étrangers qui occupent le poste dans nos grands clubs ». Il est vrai quun Néerlandais (Nijboer), un Tchécoslovaque (Chopista), un Sénégalais (Koumbia) et un Suisse (Matthey) portent le numéro 1 à Nice, Saint-Étienne, Marseille et Lyon.
LEspagne de Moncho Díaz (capitaine du Barça dans les années 50) souffre dun problème plus sérieux : ses clubs écument les Coupes dEurope, certes, mais avant tout grâce au renfort des meilleurs joueurs du monde qui sont depuis toujours venus y chercher fortune et soleil. Sa sélection, elle, na que le championnat dEurope 1964 dans sa vitrine et ne brille plus en Coupe du Monde depuis 1950. Ce match sera donc un « duel dincertitudes », ainsi que le résume « LÉquipe ».
Lheure du coup denvoi fait également débat. Quatorze heures à Regina, donc 20 heures en France : heureuse circonstance pour les téléspectateurs, moins pour les joueurs. « Nous ne sommes pas habitués en début daprès-midi, surtout deux fois en soixante-douze heures. Il nous a déjà fallu digérer le décalage horaire et le changement de climat... » Vrai. Jean-Marc Hutin, lavant-centre, inlassable travailleur contre le Nigeria, est absent car « pas encore remis des efforts fournis » trois jours plus tôt. Henry lance donc en pointe le Martiniquais Gérald Thérésine, qui évolue dans un registre assez similaire sous le maillot de Monaco, et lencadre des ailiers Patrick Pontal et Francis Coeda, ce dernier gagnant une place de titulaire après son excellente rentrée contre le Nigeria, ponctuée dun but.
Premier diagnostic après dix minutes : les Tricolores sont nerveux. Bonne nouvelle : les Espagnols aussi. Beaucoup de coups défendus, on sobserve comme le torero et la bête, personne ne se détache. La formule de championnat à cinq, on la constaté, prédispose à cet état desprit. Cependant, le meilleur moyen de se qualifier nest-il pas daller de lavant ? Philippe Stora acquiesce mais, sévèrement encadré par deux gardes du corps sous loeil indulgent de larbitre, il ne peut pas faire grand-chose. A part obtenir un coup-franc et lexpédier ... sur la barre à la 41e minute. Le jeu sencanaille un peu en seconde période. Enfin ! Oui, enfin, mais en faveur des Espagnols dont les jambes sont plus légères. Les occasions se succèdent sur la cage française puis se rapprochent : deux tirs de Quique Romero (54e, 65e), tête de Goitzaketa (61e), corner direct dAdurní (68e) auxquels ne répondent quune échappée de Coeda suivie dun centre en retrait sans preneur. On tremble pour ces Tricolores qui plient sous lenjeu et la pression, perdent leur lucidité et le contrôle du ballon. A force de reculer, ils ne sont plus à labri dun coup tordu qui arrive sous la forme dune faute de Cyr sur Toñito hors de la surface ... que larbitre suisse M. Schurmann transforme en penalty, à un quart dheure de la fin.
Dillinger, qui a tenu le coup jusquici (aidé par la chance, il est vrai), à loccasion de devenir un héros : il effleure le tir de Quique Romero ... mais ne lempêche pas de rentrer.
Les jeunes Coqs ne sont pas capables dencaisser un tel coup du sort. En tout cas pas encore. Cest presque naturellement quils encaissent un second but (Pablo Copas, 85e) avant de se rebeller, de réduire le score (Pontal, 89e) et de manquer légalisation dun souffle !
« Désespérants, ces Français », sexclamera « France Soir ». « Désespérants et admirables car encore capables, dans une fantastique ruade, de dire non à un noir destin dont ils étaient en partie responsables ! Lémotion retombée, on se demande pourquoi nos Bleus nont pas su trouver, au cours des 85 premières minutes, lénergie et la hargne qui ont submergé leurs adversaires en fin de rencontre. Et on se prend à y croire encore malgré une élimination plus que probable, désormais. »
Dominique Cyr, exemplaire, quitte le terrain en larmes. « Tête haute », dit le sélectionneur à ses joueurs. « Rien nest terminé. Surtout ne pas se décourager », exhorte Coeda.
Les deux autres matches de la journée sont beaucoup plus déséquilibrés et donc prévisibles. Les Anglais battent nettement les Canadiens par trois à zéro (Cook, Clarke, Hintley) malgré un excellent match de Leitch qui, à lui seul, masque les énormes carences de son équipe. Le Brésil, de son côté, a tricoté face au Mexique deux buts en première période (Edivaldo, Márcio Serpa) pour gérer tranquillement ses efforts en seconde mi-temps. « Le Brésil des épiciers est arrivé », sindigne « Lance », quotidien sportif brésilien. La Seleção doit se faire pardonner, elle va sy appliquer.
23 juin
Des trois rencontres programmées ce jour-là - Colombie-Nigeria, Yougoslavie-Uruguay et Belgique-Chine - la première est sans doute la moins attendue. Elle offre pourtant de lengagement et quatre buts (deux de chaque côté) entre deux équipes désireuses de montrer quelles valaient mieux que leur défaite initiale. La Colombie, lente, tarde cependant à rentrer dans le match et encaisse un but signé Chukwu Adams (17e). Vexée, soutenue (conspuée) par son nombreux public venu de Floride, elle se reprend et égalise par Jefferson Solozábal (26e). On attend enfin, de sa part, la confirmation de ses qualités (jeu court, virtuosité) mais elle ne sait pas accélérer : Arnaldo Trevia double la marque cent-vingt secondes après le repos et ... se prend le décor dans la figure en déviant un corner dans sa propre cage, à lheure de jeu. Cest justice pour les « Green Eagles » qui font lessentiel du jeu et arrachent un point mérité, prouvant quaucun des deux qualifiés africains na usurpé sa place. Rassurant pour les Bleus qui réalisent que leur victoire sur le Nigeria, un adversaire plus redoutable quattendu, valait plus quon a bien voulu le dire. Au passage, ils notent la faiblesse de léquipe de Colombie. « Rien nest terminé », répète Francis Coeda.
A Winnipeg, la Chine prouve par contre quelle nest pas du tout au niveau en explosant à nouveau, cette fois-ci face à la Belgique qui, sans forcer, marque quatre buts (Courant, De Baecker, Van Eeckhout, Neyrinckx) et se repose ensuite en vue de ses duels face à lArgentine et lItalie. « Notre Mondial commence maintenant », affirme Wilfried Smet, lentraîneur belge.
Dans le groupe A, lUruguay blessé (défaite contre le Maroc) affronte la Yougoslavie pour un match de la dernière chance. Jusquici, les hommes des Balkans ont maîtrisé leur sujet (une victoire, un nul contre lAngleterre) mais ladversaire du jour, déterminé à jouer crânement sa dernière chance, se bat avec toutes ses armes. Sans tendresse (28 fautes sifflées contre elle), la Celeste joue néanmoins au football, cette fois-ci, et son jeu solide et vif, à contre-courant de la tendance sud-américaine, déstabilise la Yougoslavie. Les deux équipes échangent les tirs pendant soixante-quinze minutes (un poteau partout) avant que Luis Sanpedro, libéro de Necaxa (Mexique), surnommé « el artillero », nallume un pétard des trente-cinq mètres qui, dévié, finit sa course dans les filets. Désorientés par labsence de leur régulateur Brnovic (suspendu), les Yougoslaves ne trouvent pas lénergie nécessaire pour réagir et sinclinent.
Le groupe A, où quatre rencontres restent à jouer et qui semblait si prévisible, senrobe de suspens avec le classement suivant : 1) Angleterre 5pts (3 matches) ; 2) Yougoslavie 3pts (3 matches) ; 3) Maroc 2pts (2 matches, 4-3) ; 4) Uruguay 2pts (2 matches, 2-3) ; 5) Canada 0pt (2 matches)
24 juin
Autre groupe imprévisible, le C. Promis au Brésil, il offre ensuite une lutte à trois entre Soviétiques, Polonais et Suédois. La question peut être réglée dès ce 24 juin avec laffrontement entre les deux premiers cités, à Ottawa.
La rencontre est plus lourde de sens pour les Polonais que pour les Soviétiques. Une vibrante Mazurka de Dabrowski est reprise par les nombreux immigrés (installés aux Etats-Unis pendant la Deuxième Guerre Mondiale) présents dans le Frank Clair Stadium, au point que la télévision soviétique baisse soudain le son pendant lhymne... . Il faut dire que les « supporters » soviétiques sont discrets en comparaison : ils se résument à quelques dignitaires rougeauds et marmoréens.
Le onze du CCCP est plus dynamique que ses suiveurs et cadre deux tirs en dix minutes. Idéal pour chauffer les gants de Ludek Nowoszyl, le portier polonais. Rassurés par la solidité du portier du Gornik Zabrze (qui a la réputation de choisir ses matches), ses équipiers prennent des initiatives et sattaquent à lOurs avec une ferveur qui dépasse, sans doute, le cadre du sport. A la dix-huitième minute, le rapide Krzysztof Tkacz, lancé par Chmiel, devance la sortie du gardien adverse et glisse le ballon ... légèrement à droite de la cage. Frisson soviétique. Bis cinq minutes plus tard, quand une faute de Khipnin sur Moskalewski est oubliée par larbitre hondurien M. Legg.
De fait, lhomme en noir et ses assesseurs ne seront pas au diapason des deux formations qui vont livrer un spectacle de qualité. A dix minutes de la mi-temps, Podvintsev se voit refuser un but pour un hors-jeu peu évident et démenti, après match, par la télévision.
Zéro-zéro balle au centre au retour des vestiaires et ce résultat arrange plutôt les Soviétiques, nantis de trois points et qui commencent à sentir la fatigue de leur troisième match en six jours (ils le souligneront). Les Polonais, en revanche, ne lentendent pas de cette oreille. Portés par la foule, ils doivent gagner et leur enthousiasme leur vaut ladhésion du public, acquis à la cause du petit contre le géant rouge. Nowoszyl soppose à Kulak et Atanassovich, le latéral droit le plus offensif du monde. En face, Chmiel (par deux fois), Moskalewski, Pewal manquent, dun cheveu, dun souffle, le but. Et sur les corners, le grand Jakubowski vient promener son mètre quatre-vingt-dix dans la surface adverse. Malheureusement pour les Polonais (et le public), tout cela naccouche daucun but à lorée des arrêts de jeu quand soudain un tir de Pewal, à lissue dun cafouillage monstre devant les buts de Bryshin, rebondit sur la barre et rentre ! Rentre-t-il ? En réalité, personne na pu le voir, surtout pas le juge de touche ni M. Legg, qui restent muets. Tandis que les Polonais se congratulent, Nowoszyl fait de grands signes, les Soviétiques partent en contre et se présentent à quatre contre trois ... puis quatre et cinq à mesure quils tergiversent. Sobelka dégage son camp, M. Legg siffle la fin et pousse un soupir. Zéro-zéro certes, « mais le plus mouvementé de lannée », relève la presse.
Paradoxe, la rencontre Argentine-Portugal offrira trois buts mais moins de spectacle. Les Argentins, vexés davoir cédé face à la froideur italienne, sinspirent de cet art et placent deux contres aux Portugais, à deux moments cruciaux de la partie : avant la pause (remontée dAlcocer, passe magistral de Moreni, frappe de Campano à la 39e) et juste après le retour des vestiaires (raid et tir repoussé de Zetti, jaillissement de Torrevilla à la 52e). Fidèles à eux-mêmes, les Portugais déploient leur jeu court, très dense dans laxe, chatoyant parfois mais sans mordant. Tomé réduit le score (85e sur penalty) mais ce nest pas suffisant. LArgentine a ajouté une dose de cynisme à son jeu pour survivre dans de groupe D où trois équipes se disputent deux places : 1) Argentine 4pts (3 matches) ; 2) Belgique 3pts (2 matches, 5-1) ; 3) Italie 3pts (2 matches, 2-1) ; 4) Portugal 2pts (3 matches, 2-3) ; 5) Chine 0pt (2 matches).
À suivre